Un cadeau pour les ados - Le récit d'un scientifique ayant adopté un loup !
"On ne peut pas comprendre l'homme sans connaître l'animal" - p16
Véridique ! Alors qu'aujourd'hui ce serait rigoureusement interdit (et à raison, car l'expérience est quand même dangereuse...), l’ethnologue Pierre Jouventin a pu adopter une louve en 1975, la sauvant ainsi d'une euthanasie dans son zoo.
C'est cette aventure que raconte le scientifique dans son livre: Kamala, une louve dans ma famille, Flammarion (Prix Fernand Mery 2012).
La louve Kamala, quelques mois après son adoption
Photo : Kamala, une louve dans la famille,
Pierre Jouventin, Flammarion
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Adoptée avant même d'avoir ouvert les yeux, la louve Kamala a cru que la famille Jouventin était sa meute. Et cela a permis de découvrir pour la première fois les comportement sociaux des loups dans leur groupe, la meute.
Cela dit, offrir un livre à un ado, il faut oser...
Oui mais : qui n'a pas rêvé, ado, d'adopter un loup ? Par ailleurs, quel ado ne se passionne pas pour les questions telles que : pourquoi le chien est-il le meilleur ami de l'homme ? Qui sont réellement les loups dans la nature ? Pouvons-nous détester notre société ?
Ce livre, en donnant des réponses biologiques à l'apparition du loup, du chien, de l'homme, et en expliquant les mécanismes régissant une meute apportent des réponses inédites à ces questions.
Un petit exemple : cette vidéo tournée en famille montre que la louve Kamala ne peut s'empêcher de venir en aide aux membres de sa meute qu'elle croit en danger parce qu'ils se baignent.
Si vous voulez en savoir plus sur ce livre, de la bouche même de son auteur, Pierre Jouventin a présenté ses travaux lors d'une conférence aux Mardis de l'Espace des Sciences de Rennes (rendez-vous directement en 12:43 pour passer l'intro) :
Vous pouvez également vous rendre sur le site de Pierre Jouventin pour voir davantage de photos de Kamala.
Le petit plus : ce livre est très bien écrit ! Pas du tout ennuyeux car il fourmille d'anecdotes sur la vie quotidienne avec un loup comme par exemple sa rencontre avec deux chevaux - p78.
Le premier était si placide qu'il se laissait tirer la queue. Voyant cela, Kamala lui mordit la cuisse avant que les propriétaires des animaux ne les séparent. Pour elle, la conclusion était claire : cheval = proie facile. Toute contente, elle fonça alors vers un poulain qu'elle aperçut plus loin, mais se prit une bonne ruade lorsqu'elle essaya de lui tirer la queue. La queue basse, elle modifia alors sa vision des choses et pour elle, le cheval entra définitivement dans la case : animal dangereux.
Voici comment fonctionnent les loups, par essai-erreur, sans jamais oublier aucune leçon de ce dont ils ont pu faire l'expérience.
Le chapitre 7 - Malin comme un loup, décrit le fonctionnement entre crainte et hardiesse du loup qui en fait un adversaire patient et implacable lorsqu'il a trouvé la faille de son adversaire.
"Si un loup est loin d'être un maître de l’intelligence conceptuelle, il est impossible de le leurrer deux fois par la même ruse." - p101
Pour vivre avec un loup dans un petit appartement, il faut pouvoir le manipuler psychologiquement ... - p218. Par exemple, Kamala n'aimait pas toujours se faire brosser. Alors, pour y parvenir, il fallait feindre de brosser quelqu'un d'autre pour que par pure jalousie elle s'approche et réclame la brosse !
Le chapitre 17, Un loup dans la ville décrit de manière passionnante le sens politique des loups, leur faculté à créer des alliances et le grand respect qu'ils ont pour la hiérarchie. Raison pour laquelle il est plus efficace de gronder un loup en étant debout sur une chaise plutôt qu'allongé dans son lit... allez lire pourquoi !
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Comment savoir si ce livre plaira ? Voici quelques thématiques traitées dans le livre que j'ai trouvées particulièrement intéressantes :
Dès la préface de Boris Cyrulnik, le fond du récit est posé : "Plus on étudie les animaux, plus on comprend l'humain".
Et en effet, en comprenant et en comparant les comportements innés ou acquis des animaux, on comprend mieux qui nous sommes, nous, des primates avec très peu d'inné, et pourtant un grand besoin de vie en société. Ce qui peut être antithétique...
Attention ! Si vous souhaitez lire le livre, n'allez pas plus loin !
"Pourquoi nous sentons-nous si complices d'un carnivore à quatre pattes qui nous ressemble si peu alors qu'il est autrement plus difficile de vivre avec un grand singe dont nous sommes si proches génétiquement et intellectuellement ? " - p16
Photo : Chalabala |
La réponse proposée dans le livre remonte aux origines de l'homme et du loup. En comparant les meutes de loups et les groupes de primates, l'auteur montre que la structure sociale est beaucoup plus développée chez les loups, avec une hiérarchie stricte, un couple dominant, et de nombreuses postures et grognements permettant d'affirmer/de confirmer la hiérarchie sociale et d'apaiser les tensions. Ces comportements existent chez les primates mais sont moins prégnants.
Une raison de cette différence vient du fait que les loups chassent des proies plus grosses qu'eux, rendant l'exercice très dangereux et avec une chance de succès uniquement s'ils se mettent à plusieurs. D'où l'existence de la meute, avec des règles et une communication très codifiée permettant de mener à bien la chasse de gros gibier sans blessure. Car, pour un loup dans son environnement sauvage, une blessure équivaut souvent à la mort.
Au contraire, les primates vivent généralement dans des environnements riches en fruits ou petites proies qui les autorisent à être individualistes dans leur chasse.
L'homme, quant à lui, est un primate qui se serait mis à chasser des proies plus grosses que lui, et aurait rencontré les mêmes contraintes que le loup, l'obligeant à créer des groupes familiaux où l'entraide, la communication et la sensibilité aux émotions d'autrui sont très fortes.
Pour cette raison, après plusieurs centaines de milliers d'années d'évolution dans ce sens, un homme et un chien se comprennent mieux entre eux qu'un homme et un primate...
Cependant, Kamala le montre à de très nombreuses reprises, ses comportements de coopération sont innés, alors que "chez notre espèce, la plus ancienne pulsion - la compétition - est surtout innée et celle qui fut le plus récemment développée - la coopération - surtout acquise par l'éducation." - p293
Cela signifie que nos comportements de coopération pourraient se perdre en quelques générations s'ils n'étaient plus transmis, par exemple dans le cadre de sociétés de plus en plus individualistes...
Encore plus fort : la domestication du loup pourrait-elle avoir participé à la naissance des civilisations ? - p279
Photo : Photobac |
Nos ancêtres ont dû facilement domestiquer de jeunes loups abandonnés par leurs parents et commencer la sélection consistant à garder les petits les plus soumis et les meilleurs compagnons de chasse.
Cela faisant, un grand déséquilibre a pu se produire dans notre écosystème.
Les loups étant des carnivores, une régulation naturelle se fait entre leur population et celle de leur proies. Si le nombre de proies diminue, des mécanismes contribuent à la réduction de la population de loups (baisse du nombre de petits dans les portées etc...). L'homme, lui, est moins inféodé à ces contraintes, car étant omnivore, il peut prélever de manière plus intense ses proies, et se rabattre sur la cueillette si le nombre de proies devient insuffisant. Il est donc susceptible de contribuer à l'appauvrissement en ressources de son écosystème.
D'autant plus après la domestication du loup qui a offert à l'homme un compagnon de chasse le rendant tellement plus efficace qu'il a pu se rendre compte que les proies diminuaient vraiment trop, et qu'il pourrait être judicieux d'en conserver quelques-unes "en réserve" lorsqu'il en aurait besoin.
Et avec cette idée serait né l'élevage, c'est une hypothèse développée dans le livre...
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Pour finir, voici un extrait du livre, décrivant la découverte des comportements altruistes innés de Kamala, et donc de tous les loups - p241 :
"Si, entre membres de la famille, nous faisions semblant de nous battre, elle tentait de se glisser entre nous. Au début, je doutais qu'elle se soit placée là volontairement, donc je me déplaçais constamment pour qu'elle ne se trouve plus au milieu, mais elle y revenait aussitôt pour nous séparer....
Si nous continuions à frapper par-dessus son corps, elle happait un poignet au passage et le tenait fermement mais sans mordre. Si nous persistions, elle serrait plus fort. [...] Plus démonstratif encore : si l'un de nous tombait ou s'allongeait sur un lit pendant que l'autre continuait à faire semblant de frapper, elle le couvrait de son corps, les pattes de chaque côté, grognait et essayait de mordre l'agresseur [...] "
Pierre Jouventin, Flammarion
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Passons maintenant aux comportements nettement plus altruistes que Kamala nous a montré au fil des années et que je n'ai qualifié ainsi qu'après beaucoup d'hésitations et de vérifications. Nous avions remarqué depuis longtemps qu'elle nous tirait par la manche vers l'intérieur de l'appartement lorsque nous prenions le frais sur le balcon. Mais qu'en déduire ? Elle faisait de même lorsque nous entrions dans un coffre ou dans notre baignoire. Au début, j'allais jusqu'à me demander si elle voulait nous mordre, mais elle nous prenait si délicatement du bout des dents qu'il était bien difficile d'interpréter son geste comme une agression.
Un jour d'été, nous sommes allés nous baigner dans l'Hérault, près de Ganges, et l'explication nous est apparu dans son incroyable évidence, éclairant d'un nouveau jour les faits précédents. Lorsque nous étions au milieu du courant, elle se jetait à l'eau et nous ramenait à la rive après nous avoir saisi le poignet. N'en croyant pas nos yeux, nous avons recommencé dix fois ce manège et chaque fois Kamala venait à notre secours. [...]
Pierre Jouventin, Flammarion
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Ainsi pour conclure, ce livre passionnant ouvre la porte à de nombreuses discussions concernant les liens unissant homme et animal et il nous interroge également sur la place de l'être humain dans son environnement. Ainsi, peut-être ne plaira-t-il pas seulement qu'aux adolescents :)
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